dimanche 17 avril 2016

"Ta façon d'être au monde" - Camille Anseaume


Ta façon d'être au monde

De Camille Anseaume, aux éditions Kero, Roman, Drame, 2016

Résumé :

Elles sont amies d’enfance. L’une est inquiète, rêveuse, introvertie ; l’autre est souriante, joyeuse, lumineuse. Ensemble, elles grandissent, découvrent la vie, l’amour. Jusqu’à ce qu’un drame bouleverse le monde qu’elles se sont bâti... Un roman poignant sur l’amitié, le deuil, et sur ce point de bascule irréversible qui sonne la fin de l’insouciance.

Mon avis :

« Elle » est une jeune fille qui vit dans un monde qu'elle ne perçoit pas forcément comme les autres. Elle se sent « différente », malgré son entourage, malgré les plaisirs de la vie. « Elle » est souvent inquiète de son monde, de ne pas faire les choses bien, de ne pas être à la hauteur. Très jeune, une certaine culpabilité s’est emparée d’elle sans plus la quitter. Se sentant comme responsable de quelque chose, sans savoir ce que c’était.

« Tu », c’est celle qui devient son amie, celle avec qui elle va évoluer, jouer, changer. « Tu », comme « Elle », n’a pas de nom. Progressivement, leur amitié évolue, devient plus forte, et « Tu » deviens le modèle qu’« Elle » aimerait suivre. « Tu » est belle, fière, a confiance en elle et au monde.
Ta façon d’être au monde raconte l’amitié qui naît de ces personnages. Naît de ce choix une impression d’immuabilité, mais également d’intemporalité. Elles sont toutes deux différentes, l’une plus introvertie que l’autre, cherchant à devenir son modèle, sa référence dans ce monde qu’elle n’arrive pas toujours à comprendre ou à maîtriser. Elles grandissent, et cette amitié se transforme. Leur complicité s’épanouit, jusqu’au groupe d’amis qu’ils vont former plus tard. Ces liens qui se tissent et se renforcent avec le temps.

Ce livre est différent dans le style que le précédent livre de Camille Anseaume. On retrouve toute sa sensibilité, sa pudeur et son tact, mais on plonge dans un univers mélancolique. Il y a même un certain malaise qui s’installe au début de la lecture, dû au choix de parler des personnages en « elle » et « tu », choisissant de ne pas révéler leur identité. On avance dans leur monde, on les suit, on les regarde, comme un voyeurisme choisi.
Cette mise à distance de l’identité n’empêche pas à l’auteur de dresser de façon complexe les sentiments des personnages : sans tournures alambiquées, ces sentiments sont très terre-à-terre et n’empêchent pas le lecteur de les imaginer évoluer : une souffrance caractérise « elle », qui devient, dans la seconde partie du récit « Je ». Celle-ci est masquée aux regards des autres, et le personnage tente de mouler sa vie à celle de « Tu » pour maintenir son équilibre de vie, parfois précaire. « Elle » est si peu sur d’elle qu’à certains moments, on aimerait lui dire de se réveiller et de voir le monde sous un angle différent.
Dans leur groupe d’amis, une fois devenu jeunes adultes, elles évoluent, l’une face à l’autre, « Elle » faisant toujours de « Tu » son modèle et sa référence. Jusqu’au drame qui vient bouleverser le groupe et le couple d’amies. Camille Anseaume ne laisse pas son lecteur de côté et l’entraine avec ce groupe, avec douceur et poésie face à la perte.
Un frisson d’enfermement, dans l’univers d’ « Elle ».
Comme indiqué plus haut, on retrouve dans ce livre le charme de l’écriture de Camille Anseaume : sans précipitation, elle dresse un portrait humain, avec ses travers, sans essayer de « mentir » à son lecteur : la réalité, c’est aussi cela : des vies déchirées, mornes et tristes. Mais pour cette histoire, le rythme est lent, monotone : sans timbre ni musicalité, on est directement plongé dans la tête d’ « Elle » pour qui le monde n’est teinté que de nuances de gris. C’est ce qui m’a le plus perturbé durant la lecture, cette impression d’être sur un bateau, sans vent pour souffler dans les voiles.
En second lieu, il y a cette atmosphère d’enfermement, de huit clos. Malgré l’entourage qui revient de façon régulière, on est toujours face aux deux personnages, à leurs choix ou à leurs indécisions.
Le rythme lent et la sensation d’enfermement ne m’avaient pas préparée à la fin qui est venue comme une bourrasque en plein visage. Rien que pour cela, j’ai pris un plaisir incroyable à m’être fait balader d’une sensation à l’autre, m’obligeant à relire les dernières pages pour être sur de ne pas être passée à côté de quelque chose.
L’insouciance de la jeunesse est précise et permet aux enfants de s’épanouir, de grandir, protégés par leur famille, leur monde imaginaire parfois lors des jeux. Une fois adulte, les tourments et douleurs que l’on peut ressentir sont nombreux et les difficultés que nous devront surmonter bien davantage. Mais lorsque glisse dès la prime enfance ces sensations d’être incomplet, incompris, grandir devient un obstacle à lui seul. C’est un peu cette « morale » que je retiens de ce livre, dont je regrette le rythme, mais que je pardonne en fermant ses pages.

En bref :

A lire, à découvrir et s'émouvoir, sans s'arrêter au rythme du tète. Une façon poignante de nous rappeler le précieux de la vie.

Citation :
« C’est l’heure du départ, la fin de l’été. Il faut rentrer. Dans la chambre, je reste transie, incapable de bouger. C’est l’angoisse et les regrets qui me paralysent. Je comprends que je n’ai pas pris le temps de défaire mes valises, ni même de regarder à la fenêtre. Maintenant que je réalise qu’on y voit la mer, il est temps de m’y arracher. Le séjour est passé sans moi. J’étais là, et je ne le savais pas. J’en conçois aujourd’hui une tristesse et une culpabilité infinies, sans commune mesure avec les faits. Tu connais ce rêve étrange que je t’ai souvent décrit. Il m’a hantée chaque nuit pendant des années. Et puis un jour je ne l’ai plus fait. Ce jour-là, j’ai compris que l’été avait duré vingt-six ans. » (Sur la 4ème de couverture). 

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